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Philosophie au jour le jour

La San Felice : seize ans de lecture

Publié le 19 Août 2018 par Christophe Calame

La San Felice : seize ans de lecture

Hier, à l’avant-veille de la fin des vacances et du retour à Paris, j’ai fini la relecture de La San Felice, le grand roman d’Alexandre Dumas sur la Révolution à Naples et la tragique histoire de la République parthénopéenne. Ce roman, lu à quatorze ans comme tous les Dumas, m’était resté en mémoire comme très important pour moi, et la genèse de ma conscience politique, avec les Possédés (16 ans, chez mon grand-père. à Sainte-Croix, cette Russie de mon enfance) et L’Éducation sentimentale (18 ans, au Gymnase, avec Jacques Chessex). Ces trois romans ont fait de moi un contre-révolutionnaire décidé (mais un réformiste engagé), et j’ai traversé toute « l’agitation » de ma jeunesse sans aucune sympathie pour les gauchistes de mon temps, dans l’attente d’une catastrophe imminente qui n’est jamais arrivée. Au contraire, la Révolution s’est produite dans les vieilles sociétés issues du totalitarisme, ou annexées par lui.

La San Felice raconte l’histoire une révolution ratée, autant par le manque de sens politique des révolutionnaires que par la férocité des lazzaroni, tant célébrés Jean-Noël Schifano, qui essaie de faire du Stendhal avec la violence napolitaine[1]. À force de célébrer les pulsions primaires, symbolisées par ces fluides que sont la lave, le sang et le sperme, on finit par s’en prendre au principe d’individuation lui-même, comme le montrent les quelques remarques dédaigneuses sur les élites napolitaines massacrées par le fanatisme et le despotisme grotesque des Bourbons[2]. Mais Alexandre Dumas, lui, était un garibaldien convaincu. Il a fondé et dirigé un journal sur la demande de Garibaldi, après avoir apporté à son compte mille fusils à Naples, en hommage à l’Unité italienne. Il faut dire que son père, le Général Dumas, métis qui portait le nom de sa mère noire, avait été incarcéré vingt-cinq mois dans les prisons napolitaines, et n’en était sorti que pour mourir.

En 2002, lorsque Jacques Chirac ordonna, très heureusement, le transfert d’Alexandre Dumas au Panthéon, j’entrepris donc de relire tous ses grands romans épiques, qui m’ont appris l’histoire de France à laquelle la majorité des Suisses ne comprend rien (à l’exception éclatante de mon cher maître, Jacques Mercanton). Je voulais commencer par La San Felice, dont je savais que la lecture, au sortir de l’enfance, avait été si décisive pour moi. Mais dès les premières pages, il m’apparut que ce roman était la conclusion de cette grande enquête romantique sur la monarchie, et le « roman national » des Français. Il fallait donc commencer par le commencement, c’est-à-dire par la Saint Barthélémy qui représente, pour Alexandre Dumas, le premier crime fatal des rois et le premier pas vers la Révolution. Je m’étais fait un plan de lecture, pour mes prochaines vacances, avec un roman par année, ce qui devait m’amener à lire La San Felice en 2012.

Le Vicomte de Bragelonne, le premier, me mit en retard par sa longueur. Les immenses scènes de la Révolution, dans Ange Pitou, me ralentirent encore. Mais surtout La San Felice, elle-même, si violente et massacrante, a brisé mon rythme de lecture. Il m’aura fallu trois étés de sang et de guerre pour finir ce livre. Je reculais devant la tâche. Tous les autres livres qui se présentaient passaient avant. Il m’a fallu un véritable effort de volonté pour aller jusqu’au bout, dans ce bref été de deuil et de souffrance que nous venons de passer. Naples n’est pas ma ville préférée d’Italie. Je l’ai traversée en train pour aller avec les élèves à Pompéi, après l’avoir découverte avec Sylviane il y a longtemps. Malgré ce que j’ai dit plus haut, j’aime le Dictionnaire amoureux de Naples de Jean-Noël Schifano. Mais sa lecture représente pour moi un voyage suffisant.

 

[1] Jean-Noël Schifano, Le corps de Naples, Folio 2017.

[2] Jean-Noël Schifano, Dictionnaire amoureux de Naples, Plon 2007. Cf pp.138 sq.

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