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Philosophie au jour le jour

LA FORME D’UNE VIE

Publié le 9 Juillet 2018 par Christophe Calame

LA FORME D’UNE VIE

Comment donner forme à sa vie ? Toutes mes activités ont été simultanées, et continues : je ne peux donc retrouver en moi-même une segmentation convenable à l’organisation d’un fonds d’archives, par exemple. Moralité : la vie est certainement d’abord une expérience, mais pas sa représentation, qui demande un plus grand recul, et semble se détacher du fil des jours et des événements, s’en emparer et les redisposer à sa guise.

 

Jeunesse

« Quand j’avais dix-huit ans, dit Goethe quelque part, le monde avait aussi dix-huit ans », expérience commune à toute ma génération. Malgré le caractère rectiligne de mes études et de ma carrière, et même de ma vie conjugale très tôt décidée, je garde le sentiment que cette époque de ma vie fut comme un grand labyrinthe, où les pas du Minotaure se faisaient encore entendre : le communisme et le christianisme furent les deux monstres qui menaçaient alors la vie intellectuelle (le premier bien plus que le second, qui avait perdu son âme dans les vieilles églises, et ne pouvait revivre que par des souvenirs d’enfance lointains, et nostalgiques). La Beauté et l’Amour, l’art, l’écriture, l’image sous toutes ses formes, la musique, tels furent les talismans qui me protégèrent dans le labyrinthe, dont on ne pouvait sortir que par effraction.

 

Littérature

Je suis né parmi les écrivains et l’écriture. Les bonnes fées qui se penchèrent sur mon berceau s’appelaient Rousseau, Constant, Stendhal, Flaubert, Ramuz, Cingria, Cendrars, Pourtalès, Chappaz, Monnier, Chessex, Bouvier. Jacques Chessex m’apporta le naturalisme. Daniel Wilhem, Barthes, Tel Quel et la modernité. Jacques Mercanton, enfin, me révéla le classicisme baroque. La littérature a été mon véritable « milieu » de jeunesse, elle a fait mon éducation dans une époque de dérives et d’errances : la Grande Roue de la littérature universelle, entraînée par la littérature française que j’ai enseignée pendant 25 ans, elle-même compliquée par son épicycle romand. Par l’enseignement, la critique et l’édition, j’ai essayé d’apurer cette dette immense, sans y parvenir.

 

Pédagogie

Je suis « tombé » dans l’enseignement sans vocation, mais je me suis progressivement passionné pour mon métier, que je n’ai jamais pratiqué sans réflexion, toujours à la recherche de dispositifs inédits, et toujours didacticien dans l’idée de généraliser mes idées, et de contribuer à la qualité et à l’efficacité de l’institution. Je n’avais pas d’état d’âme par rapport aux institutions, seules capables de conserver et de transmettre les sciences et l’histoire (la culture, c’est autre chose). À vrai dire, tout me semblait devoir être repensé dans l’école : sujets, travaux, modules, programmes, évaluations, structures, etc. J’ai eu la chance de pouvoir participer activement à l’élaboration des réformes de l’école, au plan national, au plan cantonal, au plan local. Ce fut l’essentiel de ma contribution « politique » : je me suis borné à l’influence en présidant des associations, sans jamais m’exposer au suffrage universel, qui m’aurait dévoré.

 

Philosophie

Quand j’ai découvert que l’humanité avait aussi inventé la ­Philosophie, il m’est apparu que je ne pourrais plus vivre sans habiter ce château singulier, posté au sommet de la culture universelle par son rapport presque immédiat à la vérité. Mais à la différence des écrivains, les philosophes sont difficiles à fréquenter, plus retirés, se tenant presque exclusivement à l’abri de leurs livres inapprochables. Ma tâche philosophique m’apparut d’emblée comme pédagogique : il fallait permettre à tous ceux qui le désiraient d’approcher ces falaises escarpées, pour consolider la culture de notre temps. Aussi bien dans mon enseignement que dans mes engagements associatifs, je ne me suis jamais spécialisé. Je voulais pouvoir remplir cet ancien mot d’ordre philosophique : parler de tout (Démocrite).

 

Religions

Comme Benjamin Constant, je pense que la religion ne disparaîtra pas, car elle appartient à l’Imaginaire, et que l’être humain ne va pas sans l’Imaginaire. Dans ma jeunesse, les dieux avaient disparu des anciens cultes, et l’Asie seule faisait souffler une brise bouddhiste très bien venue, qui contenait aussi une morale simple et plus convaincante que toutes les hypocrisies qui m’entouraient. Mais dans toutes mes explorations, Hermès m’a toujours infailliblement guidé vers les meilleures sources du sacré, aussi bien que dans les traditions que dans l’ésotérisme. Lorsque l’étude des religions fut introduite à l’école, mon enseignement s’orienta de manière très anthropologique et très empirique : comprendre les croyants, leur vie, leurs espoirs. Contre la pression inquiétante de l’islamisme et des autres radicalités, je militais pour la laïcité.

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