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Philosophie au jour le jour

Mais où sont passés les canons de la Commune ?

Publié le 1 Novembre 2022 par Christophe Calame

Mais où sont passés les canons de la Commune ?

Formellement parlant, l’affaire est simple : la Loi de Séparation confie la propriété des édifices religieux aux communes : la Ville de Paris est donc propriétaire du Sacré-Cœur de Montmartre, et responsable de son bon entretien. Mais le classement d’un édifice à la liste des Monuments historiques, ou sa simple inscription, permet à l’État de subventionner les éventuelles réparations (à hauteur de 20% pour l’inscription et de 40% pour le classement). Le Sacré-Cœur de Montmartre était déjà inscrit, il restait donc à le classer mais Paris avait différé sa demande à cause de diverses oppositions sur lesquelles nous allons revenir. Précisons qu’aucune réparation n’est prévue et que le monument se porte très bien (à part l’orgue, déjà pris en charge par une décision du Conseil de Paris en 2010). Le Conseil de Paris, en date du mardi 11 octobre 2022, vient de lever son opposition à la demande de classement, qui devrait n’être qu’une formalité.

En fait, le Ministère de la Culture avait déjà annoncé l'inscription de la basilique aux Monuments historiques, son classement effectif devant avoir lieu au premier semestre 2021. Mais en 2020, à la demande du Conseil de Paris, le classement avait été retardé, pour ne pas interférer avec la commémoration des 150 ans de la Commune. A ce moment, l’adjointe au patrimoine de la Mairie de Paris, Karen Taïeb, avait demandé de retarder le classement du monument, une première procédure ayant dû être reportée après les critiques des élus. Après ce premier échec, la Mairie revient à la charge et veut faire passer la demande de classement. Sur 96 édifices cultuels appartenant à la Ville, le Sacré-Cœur ne serait que le 67e à obtenir son classement, a plaidé la Mairie, pour minimiser l’annonce. (Au total 66 églises sont protégées à Paris, sur 1’950 sites et édifices. Environ 44’500 édifices dans toute la France). Mais la demande continue à se heurter à de vives oppositions. En 2017, la destruction de la basilique avait même été proposée dans le cadre du budget participatif de la Ville de Paris.

Les protestations des journaux de Gauche ont aussitôt accompagné la décision du Conseil de Paris : L’Humanité en date du 11 octobre, Libération (11 octobre également) fait dialoguer Pierre Nora et Mathilde Larrère, montrant par là même que Pierre Nora a tort : le classement ne peut visiblement pas réconcilier les « deux mémoires » de la France. Le Nouvelobs (13 octobre), lui, constate goguenard : « Et allez hop ! Sitôt la nouvelle apprise, a résonné la même partition, inlassablement rejouée depuis près d’un un siècle et demi, dès qu’on parle de la pâtisserie de la butte. Tandis que l’Église, prudente, préférait rester sotto voce pour ne pas raviver de vieilles querelles, diverses voix de gauche ont tonné : comment ose-t-on faire un cadeau à un monument réactionnaire ? ». Le Point (13 octobre), Les Échos (15 octobre), et même La Croix (11 octobre) essaient de rendre compte des débats en mentionnant les arguments des opposants et sans prendre parti, dans une réserve prudente. Mais Sylvie Braibant, co-présidente de l’association Les Amis de la Commune (2 500 adhérents) déclare : « Cette décision apparaît comme un nouvel enterrement de cette révolution », « un pas supplémentaire contre cette mémoire-là ». Et Jean-Luc Mélenchon enfin : « Le Sacré-Cœur monument historique ? Construit pour racheter les "péchés de la Commune". C'est l'apologie du meurtre des 32 000 fusillés de la Commune de Paris en huit jours. »

L’argument selon lequel le « vœu national » avait été lancé avant la Commune n’a pas beaucoup de poids, même si c’était bien pour expier les fastes licencieux de l’Empire (« Son or et sa chair » comme dit Zola), et sa très déshonorante défaite finale que le projet avait été lancé, mais les événements ont poussé la Réaction à vouloir occuper définitivement cette Butte plus ou moins sacrée, (théâtre de l’exécution de Saint Denis et de ses compagnons en 240 de notre ère), sur laquelle la Commune avait rassemblé ses canons. En tant que « lieu de mémoire » le Sacré-Cœur rappelle surtout aux Parisiens l’intransigeance de Thiers et des Versaillais pendant l’Année Terrible. Avec le temps, si les monuments parlent encore aux contemporains, la basilique est presque devenue, à contre-emploi, le mausolée de la Commune, et de son écrasement barbare et inutile (le programme politique de la Commune ayant été ensuite entièrement rempli par la République, en une trentaine d’années). Sans parler de la perte des États du pape « prisonnier » à Rome, comme le dit explicitement la dédicace de la basilique. Curieusement, les Lieux de mémoire de Pierre Nora écartent cette mémoire-là d’un revers de périphrase, au profit de l’histoire de l’art, dans laquelle la basilique n’a jamais trouvé sa place. (Mais on sait que la mémoire est toujours sélective.) La République avait entouré la basilique de noms de rue et de places symboliques : Louise Michel et surtout le Chevalier de la Barre, en plantant même sa statue sur l’esplanade, entre Saint Louis et Jeanne d’Arc ! Ils seront classés en même temps que la basilique, assure la Ville de Paris.

« C’est quoi cette mosquée ? » me demande un jeune homme, passablement allumé, à l’arrêt des Batignolles d’où l’on peut voir, comme de presque partout à Paris, l’étincelante blancheur de la basilique sur la Butte des anciens martyrs. On rit d’abord, mais au fond on lui donne raison : c’est bien une mosquée, du moins par l’architecture, comme le dit l’éminent auteur de l’article « Le Sacré-Cœur de Montmartre » dans Les Lieux de Mémoire dirigé par Pierre Nora (tome 3, pp.4253 sqq., éd. Quarto, 1997). Selon l’historien de l’architecture François Loyer, les modèles de l’architecte Paul Abadie ne sont ni romans ni byzantins comme on le dit, mais plus loin « en Orient, dans les mosquées de la Corne d’Or, qui réécrivent avec tant de force le paysage du Bosphore à Istanbul — Souleymane ou Yeni-Cami. » Affirmation monumentale tranchée, sur une cité vaincue, d’une foi vide, glacée et autoritaire. Cette vision « ottomane » est encore soulignée par le choix de la pierre même de la basilique : non le calcaire lutétien, beige tirant vers le jaune, mais le travertin de Château-Landon, qui blanchit à la pluie. Ce matériau n’avait été employé que pour l’Arc de Triomphe. La situation de la basilique à 130 m. d’altitude et sa hauteur et son dôme de 83 m., ne seront surpassés que par la Tour Eiffel, réponse anticipée de la République à l’Église.

Cependant, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, elle, mérite un détour : selon un des panneaux en caractères dorés de la basilique, c’est à l’appel de Marie Alacoque (1647-1690), mystique du Grand Siècle renommée pour ses macérations et flagellations, finalement canonisée en 1920 peu avant la consécration de la basilique, que s’établit la dévotion au Sacré-Cœur. Jésus, en effet, lui apparut pour se plaindre de l’ingratitude, de l’irrévérence, des froideurs et du mépris de ses fidèles. Le dieu de l’amour tout-puissant se montre à elle aussi asthénique qu’un dieu aztèque, exigeant des sacrifices humains pour se raffermir. Ce retournement de la source d’amour en objet d’amour n’est pas qu’une jaculation mystique obscure : il devient un sacrement politique en inspirant les Chouans dans leurs luttes contre la République. Jésus demande du sang : on lui en donnera. Le quotidien Le Siècle s'agaçait alors de cette "recrudescence d'exaltation pieuse" et publiait : « Il fallait que le catholicisme perdît absolument pied sur la terre pour aller chercher un refuge dans ce mysticisme transcendantal. C'est une vogue pour le moment, c'est une mode, un tour d'esprit ; il faut le laisser passer. L'Europe sait bien que ces excès d'imagination, trop explicables dans les partis et dans les écoles qui disparaissent, n'altéreront pas le sens commun de la France ».

Aujourd’hui, encore une fois, la basilique se porte plutôt bien. Aucune urgence donc à venir particulièrement au secours du Sacré-Cœur, quand tant d’église parisiennes sont dans un état pitoyable. Mais le tourisme, principale ressource de la Butte, est un argument de poids. Le flot continu, la masse hébétée des vacanciers et de leurs enfants, traînant leurs tongues en haillons d’été, pourrait sembler un argument irrésistible. Entourée par les établissements de Pigalle, la Butte ne symboliserait alors plus grand chose d’autre que le tourisme de masse. Bientôt, on pourra inscrire au patrimoine universel de l’UNESCO les gamins de Francisque Poulbot, urinant en vous regardant du coin de l’œil, sous prétexte qu’on les trouve dans tant de salons et de chambres à coucher du monde. La vérité de toute cette affaire, c’est que le classement d’un monument n’est pas une affaire indifférente, mais au contraire très affective. Les Français veulent voir au Monuments historiques des bâtiments qu’ils aiment et dont ils sont fiers. Ce ne sera jamais le cas du Sacré-Cœur.

Bonjour,

 

La basilique du Sacré-Coeur est propriété de la commune, donc de la Ville de Paris. C'est aussi le cas des annexes et du square : voir la notice de protection des Monuments Historiques PA75180004 (Base Mérimée sur la Plateforme Ouverte du Patrimoine) :

https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA75180004?base=%5B%22Patrimoine%20architectural%20%28M%C3%A9rim%C3%A9e%29%22%5D&image=%5B%22oui%22%5D&listResPage=2&mosaicPage=2&type=%5B%22basilique%22%5D&last_view=%22mosaic%22&idQuery=%22464354b-d32-e375-75d-8a78f86fcb1%22

 

On lit : "Statut juridique du propriétaire : Propriété de la commune"

Bien cordialement,

Mais où sont passés les canons de la Commune ?
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