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Philosophie au jour le jour

Le débat impossible de Marcel Gauchet

Publié par Christophe Calame

Le débat impossible de Marcel Gauchet

Le débat intellectuel est-il devenu un champ de ruine ? Telle est l'engageante question posée par Le Monde à Marcel Gauchet et à Michèle Riot-Sarcey, historienne chargée d'ouvrir Les Rencontres de Pétrarque à Montpellier. Marcel Gauchet, fort de toute une oeuvre de philosophie politique importante, déclare d'emblée : "Nous nous réveillons dans un monde où tous les modèles intellectuels sur lesquels nous vivions jusqu'à il y a peu se sont effondrés". Il espère sans doute par là mettre en difficulté son interlocutrice aussi, en l'incluant ainsi dans cet aveu. Mais il en faudrait bien plus : Michèle Riot-Sarcey, elle, ne doute de rien. Elle veut revenir au projet révolutionnaire d'émancipation illimitée, mais pas avec la grande majorité des prolétaires comme Marx, mais à la façon de Marcuse il y a cinquante ans, par l'addition des minorités : les femmes, les étrangers, les colonisés (pour faire bon poids, on pourrait ajouter les islamistes et les racistes du PIR ?). Son modèle politique, c'est La Nuit debout. Donc elle ne doute vraiment de rien. Gauchet, un peu las, lui dit d'ailleurs : "La différence entre vous et moi, c'est que moi je vous lis et vous, vous ne me lisez pas". Moi qui n'ai pas l'idée de lire Mme Riot-Sarcey, mais qui ai beaucoup lu Marcel Gauchet, je me demande pourquoi cet auteur important, pris à partie l'an dernier aux Journées de Blois, pilier de l'antitotalitarisme des années 80, avoue un tel désarroi devant la société présente. L'âge ne fait rien à l'affaire : Marcel Gauchet a tous les moyens de dénoncer le caractère idiot d'une radicalisation qui conduit à l'obscurantisme brutal du militant, ou même de l'essayiste quand il s'agit de Daniel Lindenberg. L'absence total de modèle alternatif de société reste bien entendu le signe distinctif de cet extrémisme. Tabou du futur chez Marx, ou jeunisme sénile chez les gauchistes (l'éternel chèque sans provision sur l'avenir). Je me demande si le désarroi de Gauchet ne vient pas de la violente division de la société à propos de l'économie, qui a toujours été la tache aveugle des anti-totalitaires et même de la Deuxième gauche, qui se prétendait si "moderniste" mais n'a mené qu'à creuser l'inégalité et à précariser encore les employés. La sociale-démocratie croyait pouvoir tondre la laine sur le dos du capitalisme, mais elle a gravement méconnu la contradiction entre la démocratie et l'entreprise (toujours une tyrannie, ou pire une oligarchie). On ne peut pas vouloir à la fois le bien de l'entreprise et celui de la société. Ici recommence le vrai socialisme.

Plus loin, les deux interlocuteurs tombent d'accord sur l'inanité de l'Université en matière intellectuelle, mais ceci est un autre sujet.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/07/07/le-debat-intellectuel-francais-est-il-un-champ-de-ruines_4965184_3232.html