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Mon adhésion juvénile et platonique au surréalisme, vers quinze ans, ne fut comprise d'aucun de mes camarades, mais eut le charme de m'ouvrir un vaste monde de références littéraires et artistiques. C'est dire si, déambulant dans l'exposition du Musée d'Orsay consacrée au romantisme noir, je me retrouvais en pays de connaissance. Presque tous les tableaux présentés, - on laisse toujours quelque chose derrière soi quelques portes fermées -, faisaient partie d'un musée imaginaire adolescent dont le grand prestidigitateur était André Breton et son Art magique. C'est dire si l'ange du bizarre avait déjà largement étendu ses ailes sur moi. Mais le romantisme noir était tabou, car bien en-dehors du bon goût, qui allait chez mes maîtres au clair et au pur. Seul Jacques Chessex, qui connaissait tout, partageait ce goût, mais ne l'avouait pas trop, conscient de la transgression. Pourtant Voltaire, Burke et Kant avaient depuis longtemps exploré ce domaine du goût au-delà du Beau, vers le Sublime. Faut-il rappeler que le sublime se définit dans la Troisième Kritik comme un jugement sans concept sur ce qui dépasse l'entendement et menace l'existence ? Mais ce n'est pas une émotion : aucun naufragé ne va trouver l'océan sublime. Non, c'est vraiment un jugement, jeté depuis la rive, en toute sécurité : ce naufrage est sublime ! Les cadavres, les squelettes, les fantômes, les sorcières, les démons, les sabbats sont sublimes parce qu'affreux et dangereux. Mais aussi l'hiver, la nuit, la solitude, les ruines, la lune, les déserts, les montagnes, les bandits, les fauves, les eunuques, les harems. Le goût s'élargit et annexe son contraire. Mes premiers catalogues noirs étaient ceux des expositions de Hambourg : Goya, Blake, Füssli, Friedrich. Mais, au fil du temps, il a bien fallu élargir ses jugements, et apprécier aussi le clair et le pur. Pourtant, je n'ai jamais renié ce premier cercle d'esprits, ma famille de jeunesse.
