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Philosophie au jour le jour

Le chantier perpétuel du pouvoir (ou le sabre du Premier Ministre)

Publié le 18 Septembre 2017 par Christophe Calame

Je ne suis pas mécontent de mes Journées du Patrimoine 2017, sous le signe des "lieux de pouvoir". À Lausanne, j'ai visité le nouveau Parlement cantonal, tout en bois vaudois bien de "chez nous", avec sa large baie vitrée sur le Canton de Vaud, histoire de ne pas oublier le pays. Voici donc la salle où les députés des crétins et des idiots associés aux députés des lobbies s'occuperont à réduire les maigres avantages des pauvres au profit des riches ! Comme dit Kant, l'essence de la législation est de "pouvoir voler sans être puni". La politique m'a toujours donné des frissons d'horreur, et je me suis engagé que pour protéger l'école contre l'idéologie du nivellement. Je me souviens que j'avais défendu, lors de la discussion de la Loi sur la Haute Ecole Pédagogique, j'avais défendu, devant la commission du Parti Libéral, la nécessité de proportionner les indemnités de stage aux besoins des stagiaires, de ne pas indemniser la mère de famille comme le garçon qui vit chez ses parents (admirez l'exquise correction politique de cette phrase...). La commission libérale m'avait répondu que j'étais "trop libéral"... Et pourtant, je devais me considérer comme "averti" puisque j'avais lu "Lucien Leuwen", quintessence des contradictions de la démocratie. Je quitte donc cette belle salle claire du Parlement vaudois avec la conviction que la politique, cet affrontement avec la bêtise et la méchanceté, était parfaitement au-dessus de mes forces et n'aurait pu que me rendre méchant (et pourtant, j'ai présidé toutes les sociétés à ma portée, dans mon domaine).

J'ai visité ensuite le chantier du Château cantonal, en restauration pour plusieurs années. On parcourt les fondations de l'édifice (la "bâtisse" comme disent les architectes) et les commentateurs nous montrent la solidité des renforcements des structures portantes. Les évêques de Lausanne devaient avoir bien peur de leurs concitoyens pour se fortifier ainsi en pleine ville (autre aspect du pouvoir). Mais les révolutions vaudoises ont toujours été douces, et lorsque les canons arrivaient de Morges, le gouvernement tombait de toute sa hauteur. Dommage qu'on ne visite pas la salle du Conseil d'Etat, avec le fameux remorqueur de Bocion (privilège de la Droite, selon Jean-Pascal Delamuraz : siéger en face du remorqueur, et s'inspirer d'une des plus douce vision du Léman). Mais dans le couloir où Aymon de Montfalcon, évêque, diplomate et poète, fit recopier un traité de rhétorique ponctué de dames et d'amants, on retrouve l'inquiétante devise : SI QUA FATA SINANT, "Si le destin le permet" (traduction de la Ligue vaudoise). En effet, cette devise nonchalante et décadente, devint, dans les années Trente, une menace sur la démocratie. Mais, "coquin de sort" comme disent les Vaudois, les destins ne le voulurent pas, et la démocratie triompha du corporatisme autoritaire.

À Morges, nous avons visité les trois maisons où se tenait au Moyen Âge l'Auberge de la Croix-Blanche. Charles le Téméraire y aurait passé la nuit après la bataille de Grandson. C'est aussi un aspect intéressant du pouvoir la défaite. Depuis l'Age classique, les trois maisons sont une demeure patricienne, et n'accueillent plus les fuyards. Une magnifique restauration permettra, j'espère, à quelques bourgeois littéraires de se mettre à l'abri des rages du progrès dans le grand manteau de pierre de l'Histoire. Nous avons ensuite parcouru les salles de la Municipalité de Morges, dans le bel Hôtel de Ville si froidement rénové, mais orné des portraits des patriciens d'autrefois, et du grand plan de la ville bernoise. Dommage que l'exposition des robes d'Audrey Hepburn n'ait pas été en libre accès pour les Journées du Patrimoine. Le Louvre l'est bien, mais il n'y a pas de petits profits pour les petites gens.

À Paris, je me suis fixé une série de visites correspondant au cursus des honneurs (mon côté romain) : Quai d'Orsay, Palais-Bourbon, Luxembourg, Matignon, Élysée. Cette année, c'était le tour de Matignon, en attendant l'Elysée pour l'an prochain. Après trois quart d'heure d'attente dans une foule amicale et marrante, j'entre avec un ami dans la Cour d'honneur, la Grande Cour. Après la montée du Grand Escalier, nous arrivons dans le bureau du Premier Ministre, qui était celui de Léon Blum. Mais là, inconvenance étonnante, le bureau abandonné pour la journée aux visiteurs, est barré d'un grand sabre, posé en travers du sous-main. Je demande si cette arme est de fonction. On me répond : "Non, c'est privé, c'est à lui...". Mon esprit d'interprétation se met en route, pour explorer le champ sémantique : je pense "sabrer les budgets"..., "sabrer le champagne"... Et le message m'apparaît, c'est un programme de gouvernement : nous allons d'abord sabrer dans les budgets, et après nous allons sabrer le champagne ! Avec ce beau programme, la popularité du gouvernement sera au plus bas à Noël, et le pouvoir charismatique de LREM finira, après quatre ans d'agonie et d'élections perdues, par le mépris public.

Et là me revient la "crottade de Blois", scène de "Lucien Leuwen" où le héros, en mission de Commissaire aux élections, reçoit de la "boue" sur son visage et sa chemise, tandis que son commis lui explique que les "ministériels" sont en effet haïs en province. De Charles le Téméraire à Lucien Leuwen, ces quelques journées m'ont promené dans les misères du pouvoir à travers ce chantier perpétuel, pour édifier une hauteur protectrice, toujours menacée.

Le chantier perpétuel du pouvoir (ou le sabre du Premier Ministre)
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