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Philosophie au jour le jour

Contre Shlomo Sand

Publié le 26 Juillet 2017 par Christophe Calame

Contre Shlomo Sand

Shlomo Sand est professeur d’histoire à l’Université de Tel-Aviv. Ses quelques essais, cependant, sont plus des pamphlets que des études : Comment le peuple juif fut inventé ?, Comment la terre d’Israël fut inventée ?, Comment j’ai cessé d’être juif, La fin de l’intellectuel français ?, Crépuscule de l’histoire… Inutile de signaler que, dans tous ces titres, le point d’interrogation n’a qu’une dimension rhétorique.

Sa lettre au Président Emmanuel Macron commence, elle aussi, par une belle captation : il le félicite à la fois d’avoir réaffirmé la responsabilité de la France dans la Rafle, et la nature criminelle du colonialisme. Les reproches viennent ensuite : avoir invité le Premier ministre israélien, et surtout avoir affirmé que « L’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme ». L’historien rappelle alors, très objectivement dans un premier temps, que la piété juive et le rabbinat étaient opposés au sionisme, qui a surgi comme une révolte laïque contre le judaïsme, un projet moderniste, socialiste, radicalement anthropocentrique (« Le sujet humain actif », dit l’auteur).

Je passe sur toutes les références intellectuelles de l’auteur contre le sionisme, pour signaler cependant la lettre de Nathan de Rothschild à Theodor Herzl, tentant de conjurer la perspective d’un « petit, tout petit Etat juif, dévot et non libéral ». Pour l’auteur, l’Etat d’Israël est « un fait accompli irréversible », mais c’est aussi « le produit d’un viol » (celui des Palestiniens) : « Un enfant né d’un viol a bien le droit de vivre, mais que se passe-t-il si cet enfant marche sur les traces de son père ? ». Cette image est inacceptable : les souffrances et l’héroïsme incroyable qui ont permis, par trois guerres terribles, de faire face à l’inégalité du nombre et de la position, s’apparentent plutôt à la défense contre un violeur déterminé et puissant.

Les défaites arabes et l’occupation présente nous masquent le rapport de force global : 6M de juifs face à 126M d’arabes, en ne comptant que les pays limitrophes d’Israël. Dans l’histoire, Israël a été « violé » par les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Philistins, les Perses, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Sassanides, les Francs, les Mamelouks, les Turcs, etc. Mais aujourd’hui Israël existe (encore) et se trouve être le seul Etat démocratique de la région. Même s’il est imparfaitement laïque (sur le plan des droits civils et du service militaire), il n’est pas constitutionnellement un « Etat juif » et les minorités arabes ont tous les droits civiques et une administration arabophone à leur service. Comparez la vie à Nazareth et la vie à Bethléem : l’autorité palestinienne ne peut assurer, malgré toutes les subventions, le même niveau de vie aux arabes qu’Israël.

Toutes les tentatives de négociation, pour mettre fin à l’occupation de la Cisjordanie, ont échoué à cause du fanatisme du Hamas et de la corruption du Fatah. On doit faire la part de la mauvaise foi d’Israël dans la colonisation des territoires occupés, mais la pression de l’opinion mondiale en serait venue à bout s’il se fût trouvé un seul interlocuteur valable parmi les Palestiniens. Si on définit le sionisme par le droit des juifs (par religion ou pas naissance) à vivre en Israël, on ne fait pas pour autant d’Israël un État religieux ou raciste (« ethnique »). Certes, les tendances existent en Israël de pousser à la théocratie (et de rejoindre par là l’Iran et l’Arabie saoudite) ou de pousser à l’ethnocratie (avec un apartheid comme en Afrique du Sud, ou aux USA dans les années 50). Mais Israël, s’il devait un jour renoncer à la démocratie et à la laïcité, serait au mis ban des nations par l’opinion mondiale.

Au fond, Shlomo Sand fait comme si le pire était déjà arrivé : en affirmant qu’en tant que « républicain », il ne peut pas soutenir l’idée d’un « État juif », il donne à cette expression une signification excessive et insupportable. Le principe du sionisme n’implique aucunement en lui-même théocratie et racisme. En conclusion, l’auteur demande au Président de la République si son propre antisionisme déclaré fait de lui, Shlomo Sand, « un antisémite » ? La question, bien rhétorique, est destinée à sauver l’antisionisme de son assimilation à l’antisémitisme (assimilation bien évidente, par ailleurs, dans le monde entier). Mais c’est l’amalgame intéressé entre sionisme et « communautarisme juif » qui fait de Shlomo Sand un véritable antisémite, et lui donne tout son public le plus malsain.

 

NOTE ANNEXE SUR L’IDENTITE JUIVE

 

Qu’est-ce qu’un juif ? Pour Shlomo Sand, c’est le descendant d’un juif. Définition « ethnique », naturaliste, physique : le « droit du sang ». Or, selon ses vagues assertions historiques que je discuterai ailleurs, la majorité des Israéliens descend des Khazars, un petit peuple de l’Asie centrale converti au judaïsme par opportunisme (pour n’être ni musulman ni chrétien). Donc les seuls « juifs » véritables, descendants des habitants de l’Antiquité, sont les Arabes, et puisque les juifs  ne descendent pas des « juifs », ils n’ont aucun droit historique sur la Palestine. Cette vision très sommaire, purement naturaliste, de l’identité personnelle ne résiste pas à l’examen (surtout si on reproche, à tort, au sionisme son « racisme »). En fait, il y a autant de juifs que de « juifs » : l’identité juive peut se définir soit par la religion hassidique (l’amour mystique de Dieu), par la religion légaliste (l’observation de la Loi), par la présence en Israël (partager le destin du peuple élu), par la culture et la langue (comme Brigitte Stora), par la solidarité historique avec les persécutés (S et sa mère), par la famille communautaire, mais aussi par la rupture : un juif peut combattre le judaïsme au risque d’en être rejeté (Spinoza), ou se convertir au christianisme (Bergson, Simone Weil) ou à l’islam (Zabbataï Tzvi), ou disparaître dans la neutralité protectrice de la laïcité, comme tant de juifs qui ont abandonné toute appartenance. Ce qui est étonnant, c’est que cette liberté n’apparaît pas : dans tous les cas, le sujet individuel se déclare requis, obligé, appelé à son degré d’engagement particulier. Nul ne peut dire : j’ai voulu ce degré d’engagement. La philosophie pense que la liberté est ontologique (une réalité) et que la contrainte est imaginaire (une apparence). Dialogue de sourds : « Je ne peux pas être autre chose – Mais non, c’est une décision, etc. »

 

 

REPONSE A FABRIZIO FRIGERIO


"Cher Fabrizio, merci de tes remarques. La lourde question de l'identité juive aujourd'hui n'est pas déterminée par le sectarisme de quelque petit rabbin ou dignitaire quelconque, mais d'abord par les nazis, encore et toujours eux. Les nazis se moquaient complètement de l'auto-définition tribale, maternelle, des juifs et visaient en bon racistes les "deux grands-parents juifs". Soixante ans après la défaite du nazisme, sinon sa disparition, l'imputation identitaire de" judaïsme" pèse donc sur des millions d'individus dont une bonne part n'a aucune intention de se rendre jamais en Israël, et proclame hautement son identité français ou américaine. Et pourtant, il y a une mémoire de la persécution qui peut pousser les juifs, malmenés par les musulmans, à choisir Israël en-dehors de toute pratique religieuse. Pour les Israéliens religieux, définition ethnique et religieuse se confondent (pourtant, ils refusent de défendre Israël). Pour les israéliens "laïques", Israël reste un Etat laïque d'abord, même si le droit civil est partiellement religieux. Il est regrettable et malvenu d'enfermer cette complexité dans l'auto-définition marginale des plus racistes des juifs. Si Israël se choisit une définition religieuse, il sera semblable aux Etats de charia qui peuplent le Moyen-Orient. Si Israël se choisit une définition raciste (en excluant les arabes citoyens israéliens et les palestiniens), il sera mis au ban des nations comme l'Afrique du Sud. Il faut donc garder, autant que possible, une définition du sionisme acceptable sur le plan de l'humanisme universel, à partir de l'Histoire et non de la Bible (comme presque toujours opposés)."

 

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